Entreprises à mission : l'exemple danois ; contribution de l'Institut G9+ au livre "L'Entreprise à mission et raison d'être"

Le 10/03/2020 - 00h00

La loi Pacte s'est beaucoup inspirée du modèle danois. Résumée par l’acronyme plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, cette loi vise à libérer et mieux financer les entreprises françaises, les rendre plus innovantes et justes. Le Danemark représente un terreau d'expériences réussies assez anciennes, et peut à juste titre servir d'exemple. Les concepteurs de la loi Pacte ont beaucoup étudié un phénomène très présent au Danemark : les fondations actionnaires. Les fonds de pérennité de Pacte en sont une version française.

Place des fondations actionnaires au Danemark

Plus de 1300 fondations actionnaires existent au Danemark, qui pilotent un tissu d'entreprises significatif. Ces entreprises prospères représentent 10% de la richesse nationale, mais 18% de la valeur ajoutée et 54% de la capitalisation boursière. Elles sont innovantes et conquérantes, 25% des exportations et 60% de la R&D du pays. On peut parler de fer de lance de la vigoureuse économie danoise. Toutes les typologies de taille sont représentées, et les plus importantes sont mondialement connues. Ce sont des success-stories emblématiques de ce grand "petit" pays de moins de six millions d'habitants. Parmi les plus connues, Carlsberg, Velux, Danfoss, Novo Nordisk ou Maersk. Ce concept de fondation actionnaire, encore un peu ésotérique pour les Français, doit nous interpeller.

Émergence de la fondation actionnaire au Danemark

Le Danemark est connu pour être un exemple de flexisécurité. Il a d'abord été une puissance hanséatique, puis une puissance coloniale significative. En réalité, le Danemark dépend beaucoup du commerce international. C'est donc une économie fondamentalement ouverte. L'arrivée du libéralisme, puis du néolibéralisme a généré des opportunités et des craintes, craintes exacerbées par la taille modeste du pays. Comme d'autres petits pays en population, la recherche de protection est récurrente face aux voisins géants. C'est aussi un pays scandinave, aux conditions rudes qui ont développé des réflexes coopératifs et une passion de la nature. Sa culture protestante joue aussi un rôle culturel dans l'économie et la relation au don. L'ensemble de ces ingrédients a favorisé l’émergence de fondations très nombreuses, et parmi elles plus de 1300 fondations actionnaires. Celles-ci ont commencé à apparaître autour de la grande dépression, comme un moyen de protection économique. Il est assez juste de résumer ce modèle à un moyen de protéger l’économie nationale : usines, emplois et capitaux. En étendant le concept de fondation, associé initialement au seul caritatif, à l'économie de marché, le droit danois a construit un outil mixte efficient.

Les raisons du succès

Il serait exagéré de dire que ces fondations actionnaires font tout le dynamisme de l'économie danoise, mais le Danemark est le seul pays où a pu être conduite une étude comparative suffisamment exhaustive. On apprend ainsi que les entreprises avec ce type de gouvernance seraient plutôt plus efficaces et mieux gérées que les autres. Les ressorts de cette performance sont de trois ordres. 

D'abord une plus grande stabilité de l'action actionnariale, moins sensible au court-termisme. Les fondations ne peuvent être rachetées, les actions sont cédées à la fondation de manière irrévocable, avec a minima un droit de blocage. Les entreprises gérées par une fondation actionnaire sont mieux protégées d'attaques capitalistiques, et donc plus sereines dans leurs politiques. Elles sont aussi beaucoup moins soumises aux guerres de succession. 

Très prosaïquement, il y a un bien meilleur ratio investissements/dividendes. La fondation, n'ayant pas vocation à conserver l'argent ou distribuer de dividendes, réinvestit dans l'entreprise. Ces fondations actionnaires sont souvent aussi par nature de grandes donatrices. Au Danemark elles donnent 800 millions d’€uros chaque année, 120 millions d’euros pour la seule Novo Nordisk. 

Le don initial, souvent d'un fondateur ou d'une famille propriétaire, a une dimension philanthropique associée à une raison d'être précisée dans les statuts de la fondation. La loi danoise s'appuie sur l'intérêt général, qui comprend la protection du patrimoine industriel et des emplois, comme le soutien de causes sociales ou culturelles. En tant qu’actionnaire, la fondation insuffle ces motivations à la fois philanthropiques et favorables à l’entreprise. 

La culture danoise, qui assume bien ce qui nous paraît un mélange des genres, serait certainement plus respectueuse de ces préceptes fondateurs.

La fondation Novo Nordisk, une gouvernance indirecte

Novo Nordisk est la seizième entreprise pharmaceutique mondiale en taille. Elle est particulièrement connue pour ses médicaments de contrôle du diabète. Un de ses fondateurs, Krogh, introduisit en effet l'insuline au Danemark dès 1923, peu après sa découverte. Le groupe Novo est représentatif du mode indirect de gestion, ici par l'intermédiaire de sa filiale Novo holding qui gère la dotation de la fondation et pilote les activités industrielles des filiales. L'objectif de la holding est très clairement un bon rendement financier des investissements du groupe. L'objectif de la fondation est de contribuer de manière significative à la recherche et au développement qui améliorent la santé et le bien-être des personnes. L'articulation de ces objectifs est cadrée par une vision et une mission bien identifiées. 

La vision de Novo Nordisk est la promotion d'une recherche de premier plan mondial, contribuant par conséquent à développer des solutions qui répondent aux défis pressants de l'avenir, au profit des individus et de la société dans son ensemble. Novo Nordisk cherche donc à être un grand parmi les grands de la recherche pharmaceutique, pour se donner les moyens de relever les défis de santé de notre monde. La réussite économique et la richesse se mettent ainsi au service de l’œuvre philanthropique. 

La mission de Novo Nordisk se décline donc en deux volets. Le premier consiste à générer des résultats commerciaux importants, par la conception de produits et services innovants, efficaces et durables, pour combattre les maladies et mieux gérer les ressources naturelles. Le second consiste à promouvoir la recherche, dans les domaines de la santé et des biotechnologies, dans les universités et les hôpitaux. D'une part on doit faire de l'argent, de l'autre on finance une recherche indépendante. 

On trouve chez Novo Nordisk cette dichotomie entre business et cause philanthropique, que nous avons parfois du mal à intégrer dans notre culture française. Dans celle-ci, réussite économique et don sont souvent dissociés. Dans l'exemple de Novo, la cause d’intérêt général, ici la santé ou les biotechnologies au service de notre environnement, devient le moteur d'une réussite économique qui entrera au service de la cause. C'est la notion de raison d'être que Pacte cherche à introduire dans les statuts des entreprises françaises.

Le cas de gouvernance directe Hempel

Le groupe Hempel, né en 1915, est un leader de l'enrobage et du revêtement de protection. C'est près de 6000 employés dans une cinquantaine de pays. De très nombreuses industries font appel à son savoir-faire, devenu très technologique. La protection de surface est une problématique générale inévitable, certains environnements étant particulièrement demandeurs et difficiles, comme tout ce qui touche à la marine. C'est un élément décisif de durabilité des biens et outils de production. 

La fondation Hempel gère directement le groupe. C'est son seul actionnaire depuis 1948. La motivation du fondateur était très clairement de protéger au premier chef l'entreprise, lui donner une base actionnariale solide et pérenne, et en second lieu de soutenir des causes de biens communs à travers le monde. 

C'est le cas typique de l'entrepreneur qui entend garantir son œuvre dans le temps et lui donner un sens positif. 

Une des causes majeures soutenue par la fondation, l'éducation des enfants par des actions dans les pays défavorisés, est désintéressée, sans rapport direct avec l'activité de Hempel. Consciente que les produits de revêtements sont souvent cause de nuisances environnementales, la fondation porte aussi ses actions sur la défense de la biodiversité, comme une sorte de compensation. La fondation soutient également toutes sortes d'initiatives en faveur du changement. La technologie Hempel peut intervenir sur beaucoup d’entre elles. Des grincheux soupçonneront un marketing de mécénat ou un sponsoring classique. Il reste que ces initiatives peuvent aboutir grâce à Hempel. Enfin, au travers d'un thème de recherche sur les revêtements, Hempel cherche par ses dons à créer des revêtements plus durables, plus positifs pour l'environnement. Ici encore les deux volets de l'action de la fondation cherchent à se nourrir et se renforcer l'un l'autre.

L’histoire se poursuit au Danemark

Comment ne pas terminer par Lego, également né dans les années 30. C’est seulement en 1986 qu’a été créé la Fondation Lego, actionnaire partiel, avec comme mission l’apprentissage par le jeu. Lego a failli mourir autour de 2006, et Lego Brand a fini par naître en 2016 pour protéger définitivement le développement de ce fleuron danois, dans cette même tradition qui demeure vivace au Danemark.

Un modèle transposable en France ?

Il semble que ce soit un objectif original de la loi Pacte. Il n'y a guère de doute que de nombreuses startups peuvent adhérer à la logique duale qui prévaut au Danemark. Les écueils seraient plutôt une faible transformation des entreprises établies, et le risque d'une dérive de complexification administrative à la française. Gageons que conscients du retard, tous y mettront du leur pour aboutir à une bonne dynamique, utile pour l'environnement, favorable au climat social, et positive pour notre économie.