From Start-up to Scale-up, question d'ambitions ? Ou comment créer des licornes en Europe ?

Le 15/12/2018 - 00h00

Colloque Alumni 2018 #HEC #Polytechnique #ambition #licornes

Le message est porté par les plus hautes strates de l’état : aujourd’hui, la France cherche à devenir une start-up nation. Alors qu’elle semble se donner les moyens de ses ambitions, au niveau économique, politique ou encore sociologique, que le nombre de start-ups florissantes augmente jour après jour, qu’en est-il de l’avènement d’éventuelles licornes ? Ces start-ups un peu particulières -elles ont atteint une valorisation d’au moins 1 milliard de dollars avant même d’être cotées en bourse- tardent à voir le jour en France, ou plus globalement en Europe. Alors que les jeunes entrepreneurs de la Silicon Valley déclarent partir à l’aventure pour changer le monde, on observe encore très peu cette ambition de notre côté de l’atlantique. Comment leur insuffler cette flamme afin qu’ilspartent conquérir le monde ? Le corporate nourrit-il cette dernière demanière effective lorsqu’il est sollicité ? L’Europe telle qu’elle est aujourd’hui représente-t-elle un frein à l’émergence d’un prochain géant ?

C’est autour de ces thématiques que s’est articulé le colloque annuel de l'AX le jeudi 29 novembre 2018 dans l’hémicycle du prestigieux palais d’Iéna. Pour la première fois, ce dernier s’est tenu conjointement avec HEC Alumni, regroupant deux des fleurons de l’enseignement supérieur français. Les tables rondes qui s’y sont tenues ont permis de confronter financiers et entrepreneurs, pour associer le point de vue du terrain, et les attentes des investisseurs.

L’importance de l’ambition

Les tables rondes ouvrent avec un terme qu’on sent déjà omniprésent chez les interlocuteurs durant ce colloque : l’ambition. En France, cela fait presque office de gros mot. Si l’on exprime son ambition en public, il s’agit d’être précis : « c’est une noble ambition ». Pourtant, pour créer une entreprise qui dépasse les frontières françaises et imposer sa présence à l’international, l’ensemble des experts s’accordent sur le fait qu’il faut avoir une vision à très long terme et à très grande échelle, et ce le plus tôt possible. « L’ambition n’est pas nécessairement celle d’une personne, c’est aussi celle d’un projet » en entrepreneuriat précise Pierre-Henry Benhamou, président-directeur général de DBV Technologies, qui a mis au point un nouveau type d’immunothérapie (l’immunothérapie thérapeutique). Avoir de l’ambition, c’est avoir envie d’oser, et celui qui ose arrive quelque part. Des obstacles peuvent et vont se présenter, mais l’ambition doit être un moteur et permettre de converger vers la vision en travaillant sur les problématiques rencontrées. Le débat s’achève sur ces quelques mots qui semblent résumer la pensée desintervenants : « La seule limite d’une start-up, c’est l’ambition de son entrepreneur ».

Le couple ambition-exécution

Avoir une ambition c’est une chose, l’exécuter en est une autre. Quelle est la formule magique pour faire concilier ces deux notions nécessaires à faire émerger une entreprise en réussite ? Peuvent-elles être portées par deux personnes différentes, un créateur et un manager ? Pour Jean-Marc Patouillaud, Managing Partner de Partech Ventures, il y a deux écoles d’investisseurs sur cette question. La première juge que ce qui prime, c’est l’idée, ensuite on porte son regard sur l’équipe qui la porte et son exécution. Une idée ne se remplace pas. Les hommes qui sont chargées de son exécution, si. La seconde école juge au contraire que c’est l’homme qui fera l’entreprise. C’est son ambition, sa capacité à organiser son développement et à saisir les opportunités avec le temps qui fera de l’idée une véritable réussite en tant que produit ou service sur les marchés. L’idée est importante, mais c’est l’homme qui lui confère sa valeur. Si cette question divise, il semble qu’il y ait un certain consensus, sans tomber dans la caricature, chez les investisseurs : avoir plusieurs fondateurs, ce qui permet de regrouper plusieurs compétences pour mener à bien un projet, l’attelage idéal pouvant être celui d’un visionnaire et d’un exécutif. L’exécution au-delà de la vision, nous dit Isabelle de Cremoux (présidente du directoire de Seventure), c’est aussi être lucide : réaliser que les besoins évoluent, que le personnel d’hier ne era peut-être pas celui de demain, et accepter l’évolution des besoins de l’entreprise, c’est parfois se préparer à faire des choix difficiles.

La relation entre start-up et corporate

Après avoir dépassé l’incubation, les jeunes start-up lesplus encourageantes se tournent parfois vers de grands groupes pour continuer àse développer à la hauteur de leurs ambitions. Ces derniers peuvent alors apporter un accompagnement financier, méthodologique ainsi qu’une certaine exposition. L’accès à cet écosystème (à des banques de données ou encore à des partenaires) peut constituer ce que l’on appelle un « unfair competitive advantage » pour ces jeunes-pousses. Ces derniers, avec la garantie que l’investisseur n’ait pas grand pouvoir de décision ou n’influent pas la vision qu’ils veulent concrétiser, peuvent continuer à travailler sur leur projet, sans avoir besoin de courir après l’argent, et avec les outils adéquats à leur disposition. La start-up doit pouvoir conserver son ambition et le corporate la nourrir.

Pour le corporate, bien choisir ses partenaires de développement est également crucial. « L’innovation incrémentale, les meilleurs savent la faire. L’innovation de rupture, c’est presque impossible », commente Stéphane Guinet (Fondateur et Chief Executive Officer de KAMET (AXA). Interroger l’univers de l’entrepreneuriat sur son marché, c’est aller à la recherche d’opportunités ou de solutions à ses problèmes existants. Il est alors possible non seulement de suivre l’innovation et les modèles émergents, mais également de faire parvenir ses solutions et produits à ses clients.

Alors que nombre de grandes entreprises tentent de stimuler la voix de l’intrapreneuriat ces dernières années sans succès grandiloquent, il s’agit ici de concilier le meilleur de deux mondes : celui de l’entrepreneuriat et celui d’un grand groupe. Autant dire l’agilité et la dynamique du risque d’une start-up avec la puissance et le savoir-faire d’une multinationale. L’innovation peut alors se développer en dehors d’un système qui lui opposerait une résistance presque mécanique en son sein.

L’importance des licornes

Investisseurs, politiques et entrepreneurs, tous ambitionnentde voir émerger plusieurs licornes en Europe dans les années à venir. Il y ad’abord un enjeu de puissance et de rayonnement pour tous les acteursconcernés. Une licorne, c’est une influence forte sur les marchés concernés.C’est également une entreprise qui peut travailler sur des masses critiques et favoriserla création d’emplois et d’activité dans notre zone géographique. En ce sens-là,c’est un vecteur de développement économique.

Ensuite, il y a un enjeu d’indépendance, qui concerne également la sécurité de nos données. Créer ses propres licornes c’est pouvoirs’émanciper de la mainmise des GAFA. Aujourd’hui, la majorité des entreprises abandonnent le contrôle des métadonnées générées par leurs clients en utilisant les systèmes d'exploitation d’un de ces géants américains. Il y a donc une réelle volonté de ne plus dépendre d’entreprises non-européennes et de passer d’une logique de consommateur à une logique de producteur. 
Enfin, et l’issue n’est pas des moindres, la présence de licornes va consolider l’écosystème en place en permettant le rachat en Europe des start-up au lieu de l’être par les américains. Ces dernières ne leurseraient donc plus livrées sur un plateau d’argent. Il sera enfin possible pour de jeunes entreprises arrivées à un certain niveau de croissance, de trouver des financements conséquents et poursuivre sereinement leur développement sur le vieux continent.

Le marché européen

Le marché européen possède certaines spécificités que le marché américain n’a pas : plusieurs pays, plusieurs langues, ou encore plusieurs fiscalités très différentes. La règlementation y est plus forte. Il y a peu de solidarité européenne que ce soit au niveau financier ou en terme d’investissement. Alors que le marché américain est uniformisé, le nôtre demeure très fragmenté. Pourtant les infrastructures -elles- sont présentes : nombre de hubs et incubateurs ont émergé sur le vieux continent ces dernières années. De plus en plus de business angels et desociétés de capital-risque s’y intéressent également. Il y a donc à la fois d’un côté un terreau favorable à l’innovation, et de l’autre des anomalies structurelles et organisationnelles s’y opposant.

Certaines de ces barrières sont facilement identifiables.La première -et peut-être la plus évidente- est celle de la création d’un marché unifié et des régulations adéquates, mais aussi de la constitution de réseaux internationaux d'entrepreneurs. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance évoque la nécessité de « faire un minimum d’Europe dans le domaine des start-up et de l’innovation ». Autre problématique sur ce marché, et non des moindres : la langue. Il est nécessaire d’assurer un bon niveau d’anglais chez lesressortissants européens afin de garantir la communication entre pairs. L’anglais ne peut plus être considéré comme une langue étrangère, mais commeune compétence. 

Ensuite vient la question de l’écosystème en tant que tel. Si les infrastructures sont présentes à travers l’Europe, il est nécessaire de faire émerger une ambition à la fois collective -y créer les prochaines licornes- mais également individuelle : l’idée n’est pas juste de créer une entreprise, mais de façonner les titans de demain, ceux qui transformeront le monde. Pour accélérer les performances des éventuelles licornes, il est urgent de favoriser de meilleures relations entre corporate et start-up : ces dernières ne représentent aujourd’hui qu’un infime montant des budgets achat des grands groupes. Au-delà de ces éléments, il est souhaitable que l’ensemble de la société favorise la culture entrepreneuriale, et la prise de risque qu’elle engendre. Un appel est également formulé aux investisseurs : il n’y aura pas de succès planétaire sans grande prise de pari. Cela signifie également qu’il y aura des échecs, et sur ce point-là ilsera nécessaire d’avoir un état d’esprit très différent de ce que l’on observe aujourd’hui : il faut accepter l’échec, et se concentrer sur l’apprentissage. 

Enfin, il sera nécessaire d’évaluer l’efficacité del’ensemble des politiques publiques autour du capital-risque, ceci pour allouerde manière optimale l’effort budgétaire consenti à la création d’un écosystèmeentrepreneurial autonome. La règlementation elle-même représente un frein à l’émergence exponentielle de grands groupes technologiques, alors que les ntreprises chinoises n’ont pas à s’en préoccuper.

Alors qu’il a fallu une vingtaine d’années à la Francepour créer son écosystème, c’est désormais une vision européenne qu’il faut développerpour assurer l’avenir des start-up, puis des licornes, et enfin d’un éventuel titan.

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