Comment réussir ma start-up en Europe ?

Le 28/07/2018 - 00h00

Compte-rendu de la conférence "Comment réussir ma start-up en Europe ?" organisée par le Digital Club Franco-Allemand avec la participation de l’Institut G9+

Date : 3 juillet à 18h30
Lieu : Chez JobTeaser, 31 rue Blanche, Paris
Format : Table ronde + cocktail dinatoire

Comment réussir ma start-up en Europe ?


Le développement à l’international est une étape obligée pour toute start-up qui veut atteindre une croissance rapide et convaincre des clients, les meilleurs talents et les investisseurs de les suivre. Face aux sirènes qui ventent les US comme le graal sacré du développement à l’international, nous pensons que, en fonction du secteur d’activité et de la structure de la start-up, les marchés européens – et en première ligne les marchés français et allemands - offrent un potentiel incroyable pour des sociétés qui s’y prennent de la bonne manière et avec méthode.

Des start-ups ayant réussi une implantation rapide sur ces deux marchés partageront leurs meilleures pratiques et clés de réussite :

  • Comment cartonner sur le marché allemand en tant que start-up français (sales, marketing, recrutement, branding, …) ?
  • Comment gérer la fragmentation des marchés en Europe (langues, cultures, législations, réglementations, …) ?
  • Comment capitaliser sur une implantation franco-allemande pour le développement du reste de l’Europe ?
  • Quels sont les freins à lever en Europe pour faciliter le développement des start-ups à l'international ?
  • Dans quels cas développer son entreprise d'abord en Europe avant de partir vers l'Asie et les US ?
  • Comment mutualiser les efforts entre start-ups françaises et start-ups allemandes pour mieux réussir ensemble ?

INTERVENANTS TABLE RONDE :
  • Adrien Ledoux, Co-Fondateur | JobTeaser - Paris
    • JobTeaser est présent dans 14 pays avec une équipe de 150 personnes, sa plateforme carrière est intégrée à plus de 350 intranets d'écoles et universités européennes, et 5000 entreprises recrutent leurs jeunes talents parmi les 700 000 inscrits. Quelle réussite ! JobTeaser a levée 15M € en 2017 pour le développement à international.
  • Felix Maurerer, VP Service Experience & Operations | Unu Motors - Berlin
    • La start-up berlinoise est présente en France depuis 2017 et vous permet de vous déplacer avec les scooters électriques les plus chics de Paris ! Unu Motors a levée 7,5M € en 2017 pour accélérer son développement à l'international.
  • Stéphane Ville, VP Strategic Partnerships | Uberall - Berlin
    • Leader européen dans le secteur du marketing digital local, uberall permet aux magasins, restaurants, cabinets médicaux, musées, hôpitaux et autres types de commerces d'optimiser automatiquement leur présence en ligne.
    • Uberall vient de lever en début 2018 25M $ pour le développement à l'international.
  • Carlos Ferrer, Head of Emerging Markets | Evaneos - Paris
    • Evaneos est une start-up française créée en 2009. Véritable game changer dans le secteur du tourisme, Evaneos propose une nouvelle façon d’imaginer, de préparer et de vivre un voyage personnalisé. Evaneos avait levé 18M € en 2016 pour le développement à l'international.
  • Julien-David Nitlech, Partner | Iris Capital - Paris
    • Iris Capital est un fonds franco-allemand de capital-risque dédié à l’économie numérique et investissant dans le monde entier. Depuis plus de 30 ans, l’équipe a soutenu plus de 300 sociétés internationales à tous les stades de leur croissance.

KEYNOTE SPEAKER :
  • André Loesekrug-Pietri, Porteur du projet J.E.D.I. | Joint European Disruptive Initiative - Paris
    • Le projet J.E.D.I. - lancé dans un premier temps entre la France et l’Allemagne – doit permettre à l’Europe de développer rapidement des innovations de rupture, habituellement élaborées sur le long-terme. André Loesekrug-Pietri, ancien conseiller spécial de la ministre des Armées, fondateur du fonds d’investissement A.CAPITAL et à l’initiative du projet, nous en détaillera les objectifs. Plus d'infos
ANIMATION :
  • Andrea Vaugan, Membre actif du DCFA et Managing Partner | Mutual Benefits - Paris
    • Mutual Benefits propose des services dédiés au développement international des entreprises, de la start-up à l'ETI : Stratégie commerciale, financière, marketing, communication, recrutement et accompagnement opérationnel en gestion de projet management par intérim
  • Luc Bretones, Président | Institut G9+ - Paris
    • Fédérant aujourd'hui 24 communautés d'anciens de toutes formations (écoles d'ingénieurs, management, sciences politiques, université), l'Institut G9+ représente 50 000 professionnels du numérique. Grands acteurs privés ou publics et pôles d'expertise concernés font naturellement partie de son environnement. Il a pour ambition d'être un think-tank de référence dans ce secteur.

Introduction

L’idée du Digital club franco-allemand est de réunir les mondes du digital allemand et français. L’association a été créée en 2013, il n’y avait à l’époque aucun échange entre les mondes allemands et français du digital. Il s’est passé beaucoup de choses depuis, et nous ne sommes plus qu’un petit acteur parmi tant d’autres. L’idée est de vous mettre en réseau, de partager les clés de succès et les meilleurs pratiques des entreprises qui réussissent de part et d’autre du Rhin.

L’Institut G9+ est un think tank pluriel et apolitique, au service du développement du Numérique en France. Nous organisons une quarantaine de conférences par an et publions différents livres et livres blancs depuis 22 ans. Nous avons décidé de consacrer nos travaux 2018-2019 à l’espace d’innovation franco-allemand, pour faciliter l’éclosion de géants du numérique européens.

Keynote

André Pietri (JEDI - Joint European Disruptive Initiative) : Cette initiative, JEDI, vous en avez probablement entendu parlé durant le discours du Président de la République sur l’Europe à la Sorbonne en septembre 2017. Cette proposition d’août 2017 a donc été reprise en quatre semaines à peine. 

J’étais jusqu’en avril dernier investisseur en capital, en Europe et en Chine. En mai j’ai rejoint un cabinet ministériel, en charge à la Défense de politique européenne de défense et d’innovation. Et depuis quelques mois, je travaille à temps plein pour mettre en place cette agence d’innovation de rupture. 

Le constat est catastrophique, sur l’IA par exemple, dont on parle beaucoup en France comme en Allemagne. Les investissements en VC l’année dernière sont effectués à 48% en Chine, à 38% aux Etats-Unis, et à 14% dans le reste du monde.C’est nous, ce reste, mais aussi la Corée, l’Inde, le Japon etc. Nous avons disparu. Si on prend les dix plus grosses sociétés au monde, huit sont américaines, deux sont chinoisesIl y a trois ans, quatre de ces sociétés étaient des sociétés de tech, aujourd’hui, ce sont sept sur les dix…D’ici peu, ce seront dix sociétés sur dix. Cela veut dire que les emplois de demain, les souverainetés de demain, les systèmes de valeur de demain seront tirés de la tech. 

Pourquoi est-ce qu’on parle de plus en plus d’innovation de rupture, encore plus qu’il y a quelques années ? Parce qu’il était alors possible de se partager un marché à plusieurs, mais aujourd’hui on se rend compte que la valeur se concentre de plus en plus (le principe du winner takes all), parce qu’on est justement sur des sujets softwares, sur des scalabilités assez immédiates, sur des durées de vie de produits qui se réduisent. Prenons la pub en ligne aux Etats-Unis, 90% sont partagés entre Facebook et Google, les autres se partagent des miettes. On voit bien qu’être leader n’est plus un luxe mais une nécessité. Aujourd’hui, si on n’est pas numéro 1, il y a de plus en plus de risque d’être largué. 

Aujourd’hui en Europe, qu’est-ce qu’on fait sur l’innovation ? Déjà, on dépense énormément d’argent. 80 milliards d’euros tous les sept ans au niveau de l’Union Européenne. C’est énorme, le problème n’est donc pas l’argent. La moyenne des appels à projet est de 12/18 mois. On se concentre sur de petites étapes. On investit dans le HPC (1500 participants sur un programme). Comme en France, où nous avons 71 pôles de compétitivitéOn saupoudre !On ne fait pas vraiment de follow-up. Le temps est aussi important voire plus que l’argent. On ne peut pas prédire l’avenir, donc il faut faire des paris. Il faut être très exigeant et savoir arrêter des projets. En Europe, on ne sait pas arrêter un projet qui ne fonctionne pas. 

Pour élaborer JEDI, on s’est inspiré de quelque chose qui marche très bien aux Etats-Unis, la DARPA. Leur produit le plus connu ? Internet. Cela remonte à 1957, lorsque les Russes lancent Spoutnik et que les Américains prennent conscience que la technologie peut changer les choses. Pour ceux qui ont un iPhone, 60 innovations de la DARPA y sont présentes. Dont SIRI, un challenge lancé en 2005, qui fut à l’époque un vrai pari sur la reconnaissance vocale assistée de l’IA. L’idée est en fait d’investir sur des sujets qui sont trop risqués ou sur le trop long terme pour intéresser le secteur privé. Ni les start-up ni les grands groupes n’ont vocation à investir là où il n’y a pas de business case. Notre idée, ce qu’on a proposé, c’est de s’inspirer de cette méthodologie. Aller très vite, lancer des challenges technologiques (par exemple réduire d’un facteur 1000 la consommation de la blockchain), il faut choisir très vite (6 semaines), investir massivement en subventions pures, et ensuite la clé du succès de la DARPA a été de coller des coachs, ce qu’ils appellent des « program managers ». Des personnes qui vont en permanence à la fois regarder la montre, et dire stop, s’ils sentent que ce n’est pas assez disruptif. C’est essentiel de ne pas passer par des comités : il faut parfois faire des virages à 90°, il faut donc une personne unique. Dernière chose, la DARPA a toujours essayé de faire des choses fondamentales, et de faire des prototypes. C’est ensuite beaucoup plus simple pour l’écosystème de financement de s’emparer des sujets.

Je ne sais pas si vous avez suivi l’audition de Mark Zuckerberg par le parlement européen, il a surement fait une erreur de communication, en disant « we are all fascinated by technology ». On est convaincu qu’en Europe, ce n’est pas ça qui nous guide, qui guide la population. La technologie pour la technologie n’a aucun sens. En revanche, si ça peut servir des grandes missions sociétales, à ce moment-là on peut expliquer et donner du sens à ce qu’on fait. On en a identifié quatre : le changement climatique(transport autonome, stockage, énergie), la santéla transition digitale(futur des postes de travail) et les nouvelles frontières(océans et espaces).

Évidemment, se pose aussi la question de la structure. L’Europe à 27 ? On y croit plus, cela ne permet pas d’être assez rapide. On a proposé quelque chose dans la ligne du Président : commencer à quelques paysLe défi est continental(Chine, Etats-Unis), la réponse doit donc être continentaleCommençons à deux ou trois pays, essentiellement la France et l’Allemagne. Et n’attendons pas une éternité, commençons dès aujourd’hui. Ce n’est pas l’argent qui compte, c’est la rapidité. 
Enfin, on considère qu’il faut que ce soit l’Etat qui investisse. Aux Etats-Unis, la plupart des grandes inventions ont été financées par l’Etat (y compris Space X, financé largement par des subventions de la DARPA et de la NASA), mais une fois que les prototypes sont prêts, on laisse ça entièrement dans les mains d’un entrepreneur talentueux. 

Donc il faut que l’Etat impulse, mais ne surtout pas recréer une bureaucratie. Il faut que ce soit à l’écosystème (grands groupes, start-up etc.) de gérer le choix des thèmes, la mise en œuvre doit être entrepreneuriale, et ça Emmanuel Macron l’a compris. 
Ce n’est pas rien. On a tout de même changé la donne, à convaincre le Président, les 15 régions françaises, l’Allemagne, les deux parlements etc. Cela génère un réel enthousiasme, et c’est logique : quelque chose qui est mené par l’écosystème, qui ne repose pas seulement sur la défense de nos pépites et la taxe des GAFA, quelque chose qui est offensif et tourné vers l’avenir, qui voit la tech comme une opportunité de rebattre les cartes.

Pour terminer, nous avons besoin d’un soutien massif de l’écosystème. Les gens les plus sceptiques sont justement les entrepreneurs qui considèrent que l’état n’est pas capable d’avoir cette agilité-là. Il faut au moins nous aider à propager cela. On a besoin que les thèmes que nous allons utiliser pour nos challenges viennent de l’écosystème. C’est la première fois qu’on est pas dans une initiative top down, verticale, mais que quelque chose émerge de l’écosystème. On a vraiment besoin de vous, faute de quoi on retournera à des sujets uniquement verticaux, cette verticalité ne fonctionne plus. Ce n’est plus ça qui génère l’innovation.

LE PANEL

Luc (Institut G9+) : Cette année nous avons décidé de concentrer nos efforts sur la coopération franco-allemande sur l’innovation et donc le numérique. Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas de gens talentueux, nous en avons beaucoup, mais que nos supers startup deviennent des ETI puis des grands groupes. Et ça on n’y arrive pas, nous sommes le seul continent à ne pas avoir créé en 20 ans de géant du numérique. Même sur le top 500, le constat est le même sur les 20 dernières années. Le problème n’est pas celui du talent, c’est celui du marché qui, morcelé, ne permet pas à nos gazelles de grandir à la taille européenne. C’est cela qu’on aimerait résoudre, avec l’aide des politiques. 

De quoi avez-vous besoin pour créer ce marché continental franco-allemand ?Si on n’y arrive pas à deux, on n’y arrivera probablement jamais à 28

A titre professionnel, je suis en charge de l’innovation produits et services dans un grand groupe, chez Orange et je travaille tous les jours avec les Allemands sur un programme d’IA, nous avons décidé d’unir nos forces à Deutsche Telekom pour élaborer notre plateforme d’IA ensemble. On va lancer en Allemagne et en France cette année le même produit basé sur la même plateforme pour des consommateurs européens, et au-delà de la France et l’Allemagne, on espère faire le scale en Europe, parce qu’il n’y a pas que les startup qui ont besoin de croissance rapide. Les grands groupes aussi, en matière d’innovation notamment, espèrent faire le scale. On espère toujours fédérer des écosystèmes et emmener avec nous toutes les startups talentueuses. Merci Andréa, je suis très heureux d’être là et passionné par ce qui va être dit.

-         Adrien, notre hôte. Cofondateur de Jobteaser, vous avez commencé votre développement international avec les marchés allemand et espagnol, en 2015. Votre première levée de fonds en 2015 a été de 3 millions d’euros, vous étiez alors 40 personnes. Ensuite en 2017, 15 millions d’euros ont été levés pour passer à la vitesse supérieure. 90 personnes en gros. Aujourd’hui vous êtes présents dans 14 pays avec 150 personnes. Votre plateforme a été intégrée dans les intranet de plus de 350 écoles et universités prestigieuses européennes. Vous avez 5000 entreprises qui recrutent via votre plateforme et près de 700 000 étudiants inscrits. Vous êtes dynamiques, vos locaux sont supers, vous avez embauché la moitié de DCFA. Donc quelle est la clé de votre succès, si rapide sur les dernières années ?
Adrien (Jobteaser) : Je pense que ça a été de travailler très tôt sur la culture d’entreprise. On a su gérer notre croissance en recrutant des profils très cohérents qui forment un ensemble homogène. On a su, malgré la croissance (x2 chaque année), conserver nos valeurs. Tout le monde reste orienté dans la même direction. 

Nous avons aussi eu la chance de développer un modèle duplicable très vite à l’international. Nous sommes un site de recrutement, pour aider les entreprises à recruter de jeunes talents. Entre 2008 et 2013, nous étions un site d’emploi plutôt classique. Le moment de notre décollage a été celui où nous avons réussi à intégrer notre solution directement dans les intranets des universités. Ça nous a permis d’aller très vite, nous n’avions plus besoin de communiquer pour toucher les étudiants. A partir là, en 2009, nous avons eu une croissance stable. Dès qu’on a trouvé ce modèle, on l’a proposé gratuitement aux universités. Voilà nos clés, une culture d’entreprise très forte, et ce modèle scalable

-         Et comment avez-vous fait le choix des pays pour vous développer ?
Adrien (Jobteaser) : On n’a pas fait de choix, on les fait tous en Europe. Très vite, face à des acteurs plus gros, on s’est dit qu’il fallait devenir européen, notamment pour devenir crédible. Et il nous fallait aller très vite. Cela rejoint ce qui était dit toute à l’heure : notre modèle repose sur le principe du « winner takes all», il nous fallait toutes les universités. Alors on s’est dit qu’on allait toutes les ouvrir d’un coup, d’autant que ce n’est pas un investissement très lourd pour nous (deux personnes par pays). Aussi parce que les grandes universités européennes ne se comparent pas tant par rapport à leur marché qu’au niveau européen. Notre service leur parait tout de suite beaucoup plus crédible parce que déjà présent sur plusieurs marchés. 

-          Ça a marché de la même manière pour chaque pays ?
Adrien (Jobteaser) : Non, il y a des spécificités locales très complexes : cultures, mentalités etc. Il y a aussi des points juridiques, des contrats très différents selon les pays.

Pour nous, aucun marché ne se ressemble.

-         Felix Maurerer, vous êtes représentent de Unu motors, start-up berlinoise créée il y a cinq ans et demi et présente en France depuis 2017. Vous concevez, construisez et commercialisez des scooters électriques. Vous avez levé 7,5 millions d’euros en 2017 pour accélérer le développement international. Aujourd’hui, vous avez 70 personnes à Berlin, dont cinq pour le marché français. Vous avez d’abord lancé votre activité en Allemagne, puis en Autriche et en Suisse et enfin en France. Quels sont les prochains pays pour Unu ? Est-ce que votre développement sur le marché franco-allemand vous a aidé à élaborer un processus un peu standard d’internationalisation ? Et si oui, comment ?


Felix (Unu motors) : On s’est lancé aux Pays Bas, puis en France. Ce sont de très grands marchés pour les véhicules électriques et les scooters, et puis les marchés les plus proches de l’Allemagne. Contrairement à Jobteaser, nous faisons du hardware avec les véhicules. 
Tout le monde nous demande si le prochain marché sera l’Italie. Non parce que le marché du neuf y est assez petit, du fait de la situation économique. Nous visons plutôt l’Espagne ou le Portugal comme prochains marchés. 
Je ne sais pas encore si nous avons trouvé un processus d’internationalisation standard. On remarque que la France est un marché assez similaire du marché allemand, avec un lifestyle très important. En France, 50% de notre marché est à Paris. Ça a été moins facile aux Pays-Bas, ils n’étaient pas vraiment intéressés par ce lifestyle. On trouve que les marchés en Europe sont vraiment très différents les uns des autres, donc non, on n’a pas encore trouvé de processus miracle. On trouve des clés, des pistes.
En France, il y a des règlementations très importantes, qui obligent à ouvrir des succursales etc. Il nous a fallu un an et demi pour obtenir toutes les autorisations auprès des préfectures. On a beaucoup appris. Mais chaque pays en Europe est différent.

-         Julien-David Nitlech, vous travaillez chez Iris Capital, un fond d’investissement franco-allemand de capital risk dédié à l’économie numérique. Vous existez depuis plus de 30 ans, avec 300 sociétés internationales soutenues, vous investissez en France depuis 1986 et en Allemagne depuis 1993. Vous avez notamment investi dans Unu. Vous avez des bureaux à Paris, Berlin, San Francisco, Dubaï, Tokyo, Tel Aviv… Quels sont les critères clés quand vous cherchez à investir dans une société ? Pourquoi l’axe franco-allemand est-il clé selon vous ? 
Julien-David (Iris Capital) : Pour commencer, l’axe franco-allemand. Il y a aujourd’hui une vision surannée que l’innovation se passerait aux Etats-Unis ou en Israël, c’est inexact. La qualité de la tech est partout, et la qualité de l’ingénierie est présente en Europe. L’enjeu européen est finalement de savoir créer des acteurs européens. Il y a l’Europe, avec une monnaie commune, une BCE commune, un parlement commun, mais il n’y a pas d’Europe du commerce. Quand vous êtes aux Etats-Unis, vous avez 220 millions de clients potentiels, vous avez un monde comme marché. Lorsque vous êtes en Allemagne, vous devez vous lancer en France, et inversement. Puis il va falloir se lancer en Espagne, en Italie etc. Et se lancer dans chacun de ces pays est un effort. L’essentiel du venture capital a débuté dans les années 2000, et le constat à l’époque était déjà le suivant : une société en France, c’est bien, mais la tech et l’innovation sont des sujets globaux. Donc nous avons compris chez Iris qu’il fallait se lancer sur le marché européen très rapidement. Notre obsession est d’avoir accès à un marché européen qu’on pense très prometteur, très uniNous avons toujours vu l’axe franco-allemand comme naturel. Il y a vraie complémentarité, une histoire commune. Il s’agit de constituer une plateforme de venture européenne parce qu’on pense qu’il y a un levier à constituer des acteurs européens. S’ils peuvent devenir internationaux, tant mieux, mais l’Europe est déjà une zone de richesse énorme. Il y a des moyens de financer l’innovation. 
Aujourd’hui nous avons un portefeuille d’une soixantaine de société : une vingtaine en France, une vingtaine en Allemagne, et une vingtaine ailleurs. Nous considérons qu’il y a une Europe du business qui reste à constituer. Scaler à l’échelle européenne passe d’abord par l’axe franco-allemand, qui forme le sillon de l’Europe. Tout projet international peut débuter ici. 

En tant que venture capitalists, nous raisonnons tous selon les mêmes règles : on recherche des équipes d’exception, des entrepreneurs et des individus (capacité à faire une techno très puissante, qualité à trouver très vite des zones de business), ensuite notre deuxième grille est le marché. Il faut un marché sur lequel ces qualités puissent s’exercer. En l’occurrence le marché franco-allemand est un très bon marché. Surtout dans l’ère protectionniste qui s’annonce, la solution sera une zone de chalandise franco-allemande. Nous avons besoin de tels marchés (dans les secteurs de l’assurance, l’éducation etc.). Et il nous faut les produits pour adresser ces marchés. 

-         Stéphane Ville, tu représentes Uberall, leader européen du marketing digital, fondé en 2013 à Berlin et maintenant installé en France. Vous avez aussi des bureaux à San Francisco et en Afrique du Sud. Vous avez levé 25 millions d’euros en début d’année. Vous êtes 180 personnes pour une quarantaine de nationalités. On trouve que c’est une histoire exceptionnelle. Tu étais le premier à rejoindre l’équipe en France même si vous étiez déjà présent sur le marché français. Comment s’est prise la décision d’ouvrir un bureau à Paris ? quelles sont les adaptions que vous avez dû opérer pour le marché français ? Où en êtes-vous actuellement ? 
Stéphane (Uberall) : Ça a vraiment commencé il y a un an. Le contexte était simple, il y avait déjà 5 ou 6 personnes en France, mais sédentaires, qui ne se déplaçaient pas, faisaient des démos à distance etc. En 2 ans, ils ont ramené une vingtaine de clients, ce n’est pas le graal. 
Pourquoi on va en France et comment ? Ça se renifle. Il faut envoyer des snipers, des éclaireurs. Nous sommes sur un marché hyper international. Nous sommes allés voir de gros partenaires potentiels, et lorsque ça a commencé à prendre, qu’il y avait un intérêt, nous avons bougé. Le marché allemand était déjà conquis : il fallait de toute façon s’exporter, avec la France cela ferait 150 millions de consommateurs. C’était donc une courroie de transmission très importante, la première à franchir. Ils voulaient embaucher un vrai français, mais tout de même dans un contexte international. 
L’organisation n’est pas pyramidale, c’est très flat à l’anglo-saxonne. Dès qu’on sent que ça commence à frémir, il faut trouver les bonnes personnes pour ouvrir un bureau. Les Allemands ont bien compris que ce n’est pas de Berlin qu’ils allaient convaincre les clients français. Il faut quantité de choses avant de gagner la confiance de ces clients. Ce qui est important, c’est qu’on s’entende, eux et moi, qu’on soit adaptable. Et les résultats sont là, on signe de très gros contrats. On met un doigt dans la prise, puis 2, puis 3… Cela finira par devenir un centre d’opération.

-         Et pour terminer, Carlos Ferrer, pour la société Evaneos, une startup française créée en 2009, « game changer » dans le secteur du tourisme, elle propose de nouvelles façons d’imaginer, de vivre un voyage personnalisé. Vous avez levé 18 millions d’euros en 2016 et vous êtes présents sur 10 marchés européens. Ça a débuté avec l’Espagne et l’Italie, puis l’Allemagne. Comment une startup qui réussit sur un premier marché fait le choix du scale-up ? Comment le réussir ? 
Carlos (Evaneos) : Evaneosc’est le voyage sur-mesure, le voyage de rêve, qui sort du système des bus où tout le monde voit la même chose. On a commencé par l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, parce qu’il y a beaucoup de similitudes entre ces pays, une proximité, notamment culturelle. Si ça marche en France, ça devrait aussi marcher en Espagne, en Italie etc. A mon sens, le vrai changement en termes d’internationalisation, c’était le lancement en Allemagne en 2014. L’Allemagne est un des plus gros marchés en termes de voyages au monde. Dans ce secteur, c’est le graal. C’était donc essentiel pour valider le produit, valider le marché, vérifier qu’Evaneosavait sa place pour disrupter le modèle du voyage en Europe. Il fallait commencer par l’Allemagne, c’est pour cette raison que l’on a accéléré à ce moment-là. 

-         Quelle est votre degré de localisation ? Quelles sont les opérations que vous avez en France ou dans votre pays d’origine ? Quelles sont les fonctions que vous avez à l’étranger et pourquoi ces choix ?
Carlos (Evaneos) : Chez Evaneoson essaye d’être très rationnel, très « data-driven » dans nos choix. On a commencé avec l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. On a tout centralisé et recruté des gens pour Paris. On essaye d’avoir de bonnes agences locales : hispanophone, anglophone etc. et à partir de là, de créer le produit. 
On a essayé de recruter un sniper à Barcelone, quelqu’un qui puisse nous apporter la connaissance du marché local et c’est pour cela qu’on a ouvert un bureau la bas en 2016, ça a bien marché. Pourtant on l’a fermé. On avait essayé de trouver une voie alternative pour pénétrer et conquérir le marché. On avait auparavant cette vision un peu corporate, centralisée, avec les best practice sharing, la communication entre les marchés, avec les experts. Et pour Barcelone, on a testé, on a essayé de conquérir le marché en étant local, avec des équipes basées là-bas. Personne ne peut dire que ça n’a pas marché, ça a ouvert beaucoup de perspectives et apporté des connaissances. Mais nous sommes très culture-driven, ce sont nos valeurs. Et Barcelone, était un peu éloigné… Même à 1h30 de vol, si tu mises beaucoup sur les gens, les bureaux décentralisés éloignent un peu…
Mais il faut tester les deux options à mon sens, vérifier ce qui fonctionne le mieux. 

-         Stéphane, quel est le plus grand challenge pour faire fonctionner cette organisation distante entre vous, Berlin et Paris ?
Stéphane (Uberall) : Clairement c’est difficile de reproduire l’ambiance machine à café à 1H30 de voldu lieu concerné. Et d’autant plus si nous sommes éloignés culturellement… 
Il faut des bons outils, première chose. Un chat c’est vivant, on rigole, on s’y amuse tout en s’envoyant des choses très sérieuses. Le CRM (Customer Relationship Management) est essentiel, il faut qu’on parle tous le même langage, que tout le monde soit traité sur le même niveau. Et que les gens soient à peu près au même niveau. De ce point de vue, la formation est essentielle. Il faut échanger au maximum, par mail, par téléphone, en permanenceOn fait de la visioconférence tout le temps, ça permet de se voir. Ça peut paraitre trivial, mais c’est comme ça que ça fonctionne. En restant chacun dans son coin, on n’arrive à rien. Il faut se fixer des réunions hebdomadaires, comme un métronome, et improviser entre chaque battement, ne pas s’en contenter
Et surtout, avoir un objectif clair, atteignable, ultra simple, et que tout le monde a compris, c’est ainsi qu’on rassemble : des idées claires, des concepts simples. On a plein d’idées, mais pour chaque idée, il en faut faire le tour. Les Allemands vont moins vite, mais lorsqu’ils embarquent, ils y vont. C’est la mentalité allemande. Je me suis beaucoup enrichi de cette expérience. Ne pas être là pour briller, ne pas être là pas pour soi mais pour le groupe, c’est une logique communautaire très forte irriguée de beaucoup d’humilité.

-         Julien-David, est-ce que vous sentez une adaptation de votre communication ou de votre façon de travailler ?
Julien-David (Iris Capital) : Je peux surtout parler de notre portefeuille, très franco-allemand et international, qui me semble être une bonne synthèse. Nous, on a un métier d’indépendant, mais ça fonctionne de la même manière. J’ai beaucoup entendu le mot culture, et effectivement, lorsque vous lancez une société dans un pays, vous lui créez une identité, un ADN etc. En fait votre produit est autant le fait de votre ingénierie que du pays ou vous êtes. Lorsque vous exportez, que ce soit du hardware ou software, il y a un premier défi qui consiste à voir ce qui est exportable de la culture d’entreprise. La première étape c’est de confronter sa philosophie du produit à un autre environnementEt ça, il n’y a que les founders, les géniteurs du projet, qui peuvent le faire. Quand ça marche, on peut investir dans la pub, le marketing et créer un pipe, générer des réactions… Puis construire un échafaudage, des relations commerciales. Et enfin installer une présence constante et donc une équipe. Que ce soit sales, presales, ingénierie etc. Il peut y avoir une itération variable, mais il faut une structure durable. Cela nécessite un investissement. Une fois arrivé là, il faut justement reconstituer une culture, de la synergie entre les équipes. Cela passe notamment par le fait de se voir en vrai, créer un esprit de groupe, une culture d’entreprise. De notre côté, c’est aussi là-dedans qu’on investit. Cette identité, c’est ensuite aussi ce qui donne de la cohérence à l’international. 

Adrien (Jobteaser) : Je crois qu’il n’y a pas de modèle parfait. Nous avons eu une approche par phase. Nous avons commencé par tout centraliser en France pour tester, plutôt que de commencer très tôt avec une équipe sur place. Le country manager s’y rend une fois le marché validé. Il faut tout de suite envoyer sur place des profils très orientés vente pour être dans l’action. Nous avons donc recruté des vendeurs des marchés d’origines : allemands, espagnols, italiens etc. Ils ont commencé ici, chez nous, où Ils sont managés par le directeur commercial, certains pendant un ou deux ans. Cela permet de créer de synergie avec les autres équipes, qu’ils se sentent dans la boite, qu’ils comprennent le projet. C’est d’autant plus important qu’au début l’activité sur place est très dure : les portes sont fermées. Alors si en plus vous vous sentez seuls, c’est la double sanction. 
Une fois que le marché commence à prendre, on lance l’ouverture de bureaux, on base les vendeurs dans les villes. Plutôt home-office au début. On regarde comment le chiffre d’affaire évolue, et là où ça prend, on envoie deux ou trois vendeurs supplémentaires. Ensuite, on monte une équipe locale (7 ou 8 personnes) et enfin un country manager… Cela donne un double management : lui et le directeur commercial. C’est comme ça que nous avons opéré. Enfin, nous avons beaucoup insisté pour qu’ils reviennent ici très souvent (soirées, séminaires, réunions). 

-         Faisons une petite mise en situation. Vous vous retrouvez à un diner avec Angela Merkel et Emmanuel Macron, vous pouvez leur demander quelque chose, quelles sont vos demandes ou vos propositions pour changer les choses ? Ce sont les patrons de l’Europe, alors très concrètement, comment la jouez-vous ?
Adrien (Jobteaser) :Il y a quelque chose d’assez évident pour nous. Il faut que le recrutement soit beaucoup plus européen, et ce n’est pas le cas. Les entreprises raisonnent très localement. Il y a bien une mobilité étudiante et universitaire: les étudiants étudient à l’étranger mais ne sont pas recrutés localement, c’est le drame. Comment faire pour à la fois développer plus de collaborations entre les universités et que les entreprises raisonnent plus au niveau européen pour le recrutement ?Il n’y a que les entreprises américaines qui fonctionnent ainsi (Google à Dublin attire les talents européens).
Stéphane (Uberall) :En tout début de carrière, j’ai monté le comité Richelieu, un regroupement des PME high-tech qui travaillait pour la défense, en tout 200 boites labélisés. On a utilisé les énergies et les synergies fonctionnaient. On répondait à des appels d’offre, et on gagnait des appels d’offre américains etc. En fait je dirais que ce qui nous manque, c’est ce genre de chose, à commencer par un sommet franco-allemand du digital qui soit réellement un facilitateur, donc avec des moyens suffisants. Etre capable d’exploiter d’avantage les synergies des différentes sociétés. Alors je leur dirais, aidez-nous à être plus compétitifs. Nous avons aussi des fleurons, une capacité d’innovation exceptionnelle.
Carlos (Evaneos) :Je crois qu’il faudrait travailler sur l’homogénéitése mettre d’accord à l’échelle européenne, pour aller tous dans la même direction, même si on ne parle pas la même langue. Pour Evaneos, au lieu de me demander quel marché approcher, je voudrais plutôt me demander quel type de client. Il faudrait qu’un entrepreneur puisse se poser les bonnes questions. Ce serait nettement plus simple. Or les politiques alimentent ces différences. Depuis Copenhague, la Suède ou l’Allemagne paraissent très loin, il y a un mur mental ou quelque chose et je ne crois pas que les politiciens nous aident beaucoup sur ce terrain.
Felix (Unu motors) : La chose la plus importante, c’est d’accepter le futur. On a un futur de la technologiequi ne peut pas être gagné par l’Allemagne ou la France ou l’Espagne, ce le sera par les Etats-Unis, la Chine, si on ne comprend pas qu’il faut vraiment collaborer, pour les systèmes de taxe, de loi etc. On ne peut pas gagner. On recommence les mêmes discussions à chaque fois, avec chaque innovation… 
Julien (Iris Capital) :On ne va pas refaire le débat. Mais nous sommes partis sur une Europe des fédérations alors que finalement je trouve que le bon modèle est plutôt celui de la confédération allemande. On ne peut pas empêcher les Espagnols d’être différents des Français ou des Allemands mais on peut trouver un moyen de faire coexister les cultures, aider les sociétés à avoir des zones de chalandise plus large
Business Francec’est bien, mais j’aimerais aussi un Business Europe. Qu’en Allemagne les sociétés françaises ne souffrent pas de l’atavisme allemand, qu’elles puissent entrer sur les marchés, et vice versaIl nous faut une initiative politique opérationnelle : appelez ça European tech ou comme vous voulez. Quelque chose qui nous épargne les deux ans d’acoquinement et d’acclimatation à la culture locale, de sorte que les sociétés puissent scaler plus vite. Ça concerne aussi l’éducation, le recrutement etc. Si nous y parvenons, à une zone de chalandise globale qui respecte les particularités de chacun, les sociétés techs vont naturellement devenir plus européennes. Et pas seulement, cela s’appliquera à tous les groupes.

Q&A

-          Je suis directrice de l’office franco-allemand pour la jeunesse, et je vois ce que vous voulez dire par la confédération à l’Allemande. Mais dans la pratique quand vous voyez qu’en passant d’un länder à l’autre, il est déjà difficile de faire valider son bac… Oui pour une confédération, mais peut-être pas pour les questions d’éducation.

Vous avez évoqué un peu la question de la langue, j’aimerais vous entendre là-dessus. Sur la pratique de l’anglais, est-ce indispensable ? Est-ce un atout de connaître d’autres langues ?
Stéphane (Uberall) : La plupart des gens recrutés chez Uberall maitrisent 3 ou 4 langues. Sinon dans la pratique, tout est en anglais et ça se passe très bien. 

-         Vous avez bien perçu que les différences interculturelles étaient fondamentales. Je ne crois qu’on puisse harmoniser le continent. Est-ce qu’il ne faudrait pas former beaucoup plus tôt les jeunes à passer d’une langue à l’autre, comprendre les différences etc.? 
Julien (Iris Capital) : Aujourd’hui l’international est porté par une langue, l’anglais. Idem pour le secteur de la tech. Et on constate d’ailleurs un taux d’anglicisation très élevé. Je suis évidemment partisan de parler plein de langues. Mais on voit bien que les formations en France sur les langues débutent d’ores et déjà très tôt, vers 11 ans. 
Au-delà de l’apprentissage, il faut permettre aux langues de s’exercer, donc stimuler la circulation pour que très tôt les jeunes pratiquent les langues. C’est plus l’enjeu du mélange que de l’apprentissage à mon sens. 
Stéphane (Uberall) : La plupart du temps, on a des ateliers en allemand, en anglais, en français. Quand j’ai commencé, je ne pouvais pas en bénéficier. Aujourd’hui, si on veut se former au siège, il n’y a pas de problème, c’est gratuit.
-         Maintenant que vous êtes bien installés sur les marchés européens, est-ce qu’il y a des choses qui vous bloquent pour aller sur les autres marchés en Asie, en Chine, aux Etats-Unis ?
Adrien (Jobteaser) : En ce qui nous concerne, c’est lié au problème dont on parlait déjà au début, on a déjà 14 géographies à gérer. C’est un challenge énorme : droits du travail, data, contrats, comptabilité etc. Il y a déjà d’énormes différences à résoudre tous les jours, ça devient donc compliqué de se projeter. Ensuite il y a aussi une question pragmatique d’éloignement géographique. On peut aller aux Pays-Bas en deux heures, c’est pratique. Pour l’Asie ou les Etats-Unis, ça devient plus compliqué. Ça peut marcher, mais c’est autre chose à gérer : le décalage, la synchronisation des équipes etc. 

-         Vous avez parlé du recrutement, des questions de droit du travail… Est-ce que vous pensez qu’il faut quelqu’un de la langue et d’origine locale pour ouvrir un bureau ?
Julien (Iris Capital) : C’est poser la question du rôle en fait. Pour les sales, il y a deux qualités à avoir. Bien connaitre le produit et voir comment il s’adapte, c’est pour le founder. En revanche, pour le vendre, il faut être du coin. Un Américain pour vendre à un Américain etc.
Sur des fonctions sales ou de construction d’entité, il faut un managing director, ce sont des fonctions locales, il faut créer un lien local. En revanche, l’hybridation est toujours nécessaire, parce que le produit a été créé quelque part et par quelqu’un.

-         Si vous pouviez refaire votre développement à l’international, que feriez-vous de différemment ?
Adrien (Jobteaser) : En ce qui nous concerne, nous avions besoin d’aller vite. Je pense que nous prendrions un peu plus de temps pour la compréhension du marché local. Sur la Belgique par exemple, nous avons essayé de dupliquer ce que nous avions fait en France, et nous avons été obligés de nous réadapter ensuite, de recruter une équipe stratégie pour se poser un peu plus sur la connaissance des marchés. Par exemple, en Belgique, c’est bête, mais ils font très peu de stages, les écoles de commerce y ont un pouvoir faible comparées aux universités. Il nous a fallu un moment pour comprendre cela. Donc si c’était à refaire, nous prendrions un peu plus de temps pour comprendre les enjeux, juridiques comme culturels, on ne peut pas si simplement dupliquer un modèle
Stéphane (Uberall) : On échoue beaucoup parce qu’on n’a pas préparéPour être prêt, il faut comprendre le pays, sa population, ce qu’elle veut, tout l’écosystèmeLe processus de recrutement doit aussi être très sérieux. Ne pas prendre la bonne personne, c’est perdre un an et beaucoup d’argent. Voilà mes principales erreurs. 
Carlos (Evaneos) : Etre flexible dans les tests, tester le plus possible et de la manière la plus agile possible. Enfin, être prêt à fermer si ça ne marche pas. Fermer un marché n’est pas un échec.

-         Je gère le développement de ma startup B2B sur le marché Allemand. Je suis Français mais je parle Allemand. Comment fait-on pour fédérer toutes les équipes quand on part sur un nouveau pays ? C’est compliqué. En ce qui nous concerne, le produit est un peu différent sur place. Comment fait-on pour embarquer 100% des équipes, même les « sales » en France ou des autres marchés ?
Adrien (Jobteaser) : Je pense que la clé pour nous a été de ne pas cloisonner. Faire comprendre à toute la boite dès le début, que désormais on était une société internationale, y compris par des prises de parole régulières. C’est aussi dans les faits s’obliger à faire les présentations en anglais, même si ça peut être compliqué pour certains. Et surtout faire venir les équipes le plus souvent possible de l’étranger, que les gens en France comprennent bien que c’est une réalité. Notre équipe allemande (7 ou 8 personnes), est maintenant très bien identifiée par notre équipe française, grâce à ces pratiques. Quand on a envie d’embarquer tout le monde, il faut rendre visible les équipes internationales. Typiquement dans nos évènements, on fait attention à la mixité, aussi bien que pour la composition des équipes. C’est notre hantise depuis le début : que personne ne soit isolé. Certes, c’est fatigant pour les équipes (deux jours toutes les deux semaines sur place), mais on voit l’impact concret, et tout le monde en a conscience.

-         Deux jours toutes les deux semaines, c’est très intéressant, je le vis actuellement. Mais est-ce que vous le faîtes dans les deux sens, est-ce que les directeurs vont dans les pays ? Et que faites-vous quand dans une boite française, une majorité des Français parlent mal anglais ou peu anglais ?
Adrien (Jobteaser) : Oui on se déplace, pas assez, mais on se déplace. On a fait un évènement en Allemagne, on y est tous allé un ou deux jours pour passer du temps ensemble. Et tous les rendez-vous commerciaux majeurs, soit moi soit mon associé s’y rend. Cela fait presque un jour par semaine. On est très impliqué, mais plutôt sur la partie commerciale. On est très proche des équipes à ce niveau-là. Pour la maitrise de l’anglais, on s’est rendu compte que nous même, dirigeants étions moins bons : on arrive moins à rebondir, on est moins drôle. On a certaines équipes qui parlent moins bien anglais aussi. Nous avons fait le choix de produire les documents et les supports en anglais, mais la présentation, elle, est en français avec un traducteur en live. Il y a des oreillettes pour les internationaux qui sont là. Et ça fonctionne plutôt bien.

-         On dit qu’aujourd’hui, la filière royale est celle de la prépa. Avant il s’agissait des écoles d’ingénieur. A mon grand étonnement, j’ai récemment appris qu’il y avait désormais plus de places dans les écoles d’ingénieurs que de candidats, et ça m’a terrifié. Quand on voit que la tech est ce qui absorbe la valeur du monde, pour faire simple, le rôle modèle en France n’est plus l’ingénieur, n’est plus la tech. Je trouve cela très inquiétant qu’un pays n’ait plus pour rôle modèle ce qui tire concrètement l’économie. Il a d’ailleurs fallu attendre Macron pour qu’on s’intéresse à l’intelligence artificielle, ce qui montre notre retard. Est-ce que vous constatez la même chose en Allemagne ? Qu’en pensez-vous ?
Felix (Unu motors) : Je ne sais pas si on a la même chose en Allemagne, mais je pense que c’est comparable. Une grande part de notre équipe tech n’est pas allemande, mais américaine, turque etc. Elle vient du monde entier. Nous avons seulement deux Allemands sur 15 à 20 personnes.

Stéphane (Uberall) : Chez nous c’est la mixité totale aussi bien homme-femme qu’en termes de nationalités. C’est une super mixité, personnellement, je trouve ça génial mais je comprends que cela vous inquiète. Après ce qui compte surtout pour les allemands, c’est l’expérience, plus que le reste. 

Julien (Iris Capital) : Je serais curieux de voir les chiffres. Je pense à l’école 42. Ce qu’on perd en écoles institutionnelles, elles qui faisaient le ciment des années 1970-1980, et qui font aujourd’hui toujours le ciment de la tech (on retrouve beaucoup de diplômés commerce ou ingénieur ou les deux), on le gagne ailleurs. Il est intéressant de voir que les gens accèdent à la tech par des voies détournées (Ecole 42, autoformation, codage). 
Aux Etats-Unis, la situation est pire, il n’y a plus de machine learner sur le marché. Google, Apple, Facebook ont tellement de données qu’ils ont besoin d’experts en algorithme en permanence. Vous sortez avec un diplôme de deep-learning, on vous recrute pour un salaire astronomique à la sortie de l’école. Du coup, il n’y a plus aucune innovation. Ils sont en sous-capacité totale. Là ou je suis optimiste, c’est que ce que l’entrepreneuriat nous a appris ces dernières années, c’est qu’il n’y a plus de chemin établi. Avant on faisait des écoles etc. Pour les jeunes générations, ces vieilles règles n’existent plus, il n’y a plus de respect du stage etc.