Edito de la Newsletter de mars 2017 - Nadia Robinet : L’indignation, et après ?

Le 29/03/2018 - 00h00

Il y aura incontestablement un avant et un après affaire Weinstein. Le déclenchement d’un vaste mouvement mondial de dénonciation des gestes et propos déplacés symbolisé par le hashtag #metoo a changé notre regard sur le harcèlement dont les femmes peuvent faire l’objet et les violences sexistes et sexuelles au travail et dans la société. Le mouvement a culminé le 8 mars dernier lors de la journée des droits des femmes par une dénonciation quasi unanime de certains comportements désormais devenus inacceptables et l’annonce par le Premier Ministre de 50 mesures pour favoriser l’égalité femmes-hommes.  Pourtant, il y a plusieurs raisons de nuancer notre satisfaction.

Tout d’abord, la situation reste préoccupante à plus d’un titre. 80% des femmes s’estiment régulièrement confrontées à des attitudes sexistes dans leur milieu professionnel ; 15% des femmes seulement sont membres de comités exécutifs. Plus alarmant encore : une femme décède tous les 3 jours des violences de son conjoint. Cette réalité est exacerbée dans certains territoires des Outre-mer où les violences faites aux femmes sont plus fréquentes : 17% en Polynésie Française contre 2,3% en Métropole !

Ensuite, la dénonciation des harcèlements en entreprise pourrait faire passer au second plan d’autres problèmes tout aussi réels, comme les cyberviolences par exemple, qui ont fait l’objet d’un rapport récent de l’European Institute for Gender Equality. Le bruit autour de certaines pratiques pourrait paradoxalement permettre à d’autres de s’épanouir si l’on n’y prend pas garde. Le numérique est une formidable opportunité de progression des droits des femmes, mais aussi, il faut en être conscient, un terrain propice, l’anonymat aidant, au développement des pires pratiques sexistes. Les nouveaux risques et les nouveaux outils pour prévenir la violence faite aux femmes commencent à être compris, mais la prise de conscience est encore neuve. Ce sera, par exemple, le thème d’une conférence organisée le 18 juin 2018 par l’Institut G9+, en partenariat avec Led by Her, l’association de réinsertion par l'entrepreneuriat pour les femmes victimes de violence  fondée par Chiara Condi. 

Par ailleurs, l’égalité invoquée avec force produit une dérive paradoxale. Elle fait plus que réclamer la liberté de choix pour les femmes. Elle prend désormais la forme de nouvelles injonctions se traduisant en pratique par une réduction des choix à de nouvelles normes telle celle d’un soi-disant « Leadership au féminin ». Au nom de l’abolition de standards désuets de comportement, on voudrait finalement en imposer d’autres. Il serait vraiment regrettable qu’au moment où les hommes ont cessé de dicter leurs conduites aux femmes, les femmes elles-mêmes prennent le relais du contrôle social.

Enfin, derrière la bonne conscience des pétitions de principe et la mise en exergue de certains cas spectaculaires, peut-on dire que les pratiques ont durablement évolué ? Un changement culturel ne se produit pas en un jour. Il faudra être vigilant, alors même que les récents succès de la cause des femmes engagent à un certain relâchement dont nous devons nous garder. Les progrès réels sont lents, et nécessitent que des directions claires soient imprimées sur la durée, souvent au moyen de la contrainte légale. Les progrès réels (mais encore insuffisants) de la place des femmes dans les entreprises en témoignent. La dernière étude sur la diversité des plus grandes entreprises réalisée par Skema Business School livre d’intéressants résultats. L’efficacité des quotas est par exemple illustrée par la différence de féminisation des conseils d’administration entre la France et l’Allemagne. Alors que dans notre pays ce taux dépasse désormais les 40% grâce à une loi de 2011, il n’atteint pas encore les 30% du quota fixé en 2015 outre-Rhin. La féminisation, même acquise à marche forcée, marche bel et bien...

A ce titre, parmi les mesures concernant l’éducation, la promotion de la mixité des filières et des métiers lors du stage de 3ème doit faire l’objet d’un engagement fort de toutes et de tous, entreprises et professionnels du Numérique, si nous voulons nourrir l’envie des jeunes filles de choisir une carrière dans ce secteur.

Après l’indignation, utile et salutaire -c’est une question d’honneur, serais-je tentée de dire- c’est moins que jamais le temps de la satisfaction, mais bien plutôt celui l’action !

Nadia Robinet | Vice-présidente | Institut G9+ | Think tank, associatif et apolitique, fédérant aujourd'hui 20 communautés d'alumni de toutes formations (écoles d'ingénieurs, management, sciences politiques)